Deux mois de vie partagée dans une famille à La Havane du temps de Fidel Castro, dans un vieux quartier pas touristique du tout, une vieille maison bleuie à la caséine et aux meubles anciens, tenue de main ferme par une grand-mère prêtresse de la Santeria.
C’est sur les murs du Danube Palace Café que sont enfin exposées pour la première fois en exposition-vente, les pages de ce carnet de vie plein de tendresse qui a inspiré à l’auteur un roman illustré (une autofiction mi- texte / mi- aquarelles). Un parfum de cigare, un verre de rhum, un air de salsa, une odeur de moleskine chauffé par le soleil et de gazoline, un amour de la vie, de l’amour, de l’humour, une saga de famille, des couleurs, des mots, vous allez voyager…
Le roman « Le journal de Zoé Pilou à Cuba » est fois édité une première fois en 2007 aux éditions Mango Jeunesse puis réédité. Un livre à regarder et à lire qu’on ne trouve plus en librairie (et disponible pour l’occasion ici car diffusé par l’auteur > Pensez lors de l’achat à demander en 1ee page, votre dédicace personnelle… !)
Un roman un peu autobiographique, même si l’histoire est racontée par une fille franco-cubaine de 10 ans en pleine recherche de ses origines. Un article documentaire encore plus détaillé raconte ce Cuba pleine de saveurs, de douceurs et de force : Magazine « Bout du monde »
PLUS SUR L’ARTISTE- AUTEUR
Un diplôme de graphiste-concepteur en poche avec un passage aux Beaux-Arts de Paris, toujours beaucoup de projets en besace (illustrations, créations, fresques, carnet de timbres), je me ressource en croquant sur le vif là où les choses étonnent. Que ce soit en voyage ou dans le quotidien.
Le carnet de voyage (- carnet de vie) est d’usage courant chez les artistes et illustrateurs, à ça, rien d’étonnant : Un support libre qui permet de tester des techniques spontanées, de noter des pensées en images surtout, de capter des instantanés, surprenants et aussi de mémoriser des moments précieux de rencontre et d’émotion tous les sens en éveil.
Dans le roman et l’article, chance de pouvoir compléter sous une autre forme complémentaire le travail documentaire si soucieux de rendre hommage aux Cubains, j’ai essayé de garder cet esprit impressionniste au moment de l’écriture aussi. Qu’elle soit musicale, rythmée, chaloupée, odorante et parfumée, colorée et chatoyante, pastel et tonifiante, drôle et émouvante.
En somme qu’elle vous capte de toute sa vitalité et touche vos cinq sens… Vous trouverez aussi en dépôt vente d’autres livres, dont « Lisbonne mon amour », ne pas hésiter à demander au Danube Palace Café que je remercie pour son accueil dans ce bel espace…
LE CHANT D’UN MONDE
Je venais de me marier, je n’avais pas eu de voyage de noces. Cuba m’appelait à ce moment-là. Innocemment, je rêvais de partir… Déjà sans deux ans sans bouger ou si peu, j’avais trop donné, trop trimé, je devais m’échapper, me retrouver. J’étais épuisée. Vidée. J’avais un besoin vital de couper avec la création d’uniterre.com, revenir à la peinture, trouver la source couleurs de vie… Mon associé travaillait à La Havane depuis six mois, sillonnant la ville le reste du temps tout à sa passion pour le pays. Son coup de fil a tout déclenché : « Viens, maintenant ! N’attend plus, viens faire un carnet de voyage.
Je me suis fixée dans une maison assez grande, la grand-mère va t’accueillir, il reste une chambre, tu es attendue ! » En effet, pourquoi rester ? Une famille matriarcale à trois générations dirigée par une vieille prêtresse vaudou de La Havane, une grande maisonnée dans un quartier ancien mais pas touristique, un hébergement illégal pour partager les conditions de la vie locale et non subir le discours touristique, un pays mythique, particulièrement riche en histoire, des gens réputés sincères, gais, courageux et cultivés, un pays baigné de couleurs, d’amour de la vie, de musique, c’était l’idéal pour ma vie d’artiste laissé en jachère. Et sur place, je retrouverais un ami cher, traducteur vivant, passionné, assez patient pour me laisser vivre et peindre à mon rythme.
N’était-ce pas idéal ? En trois jours mon visa et mes bagages – peintures comprises – étaient faits ; j’allais retrouver mon souffle, l’inspiration, la vie ! Je reviendrai, c’est sûr, avec des cigares pour tous. Je connaissais La Havane d’une oreille livresque. Mon voyage initiatique commença peu après l’embarquement, dans le cockpit où ma jeune voisine cubaine, mariée à un français d’âge plus mûr, m’entretenait avec enthousiasme de la maison traditionnelle qu’ils restauraient dans le centre, des courses parisiennes étranges à mes yeux qu’elle apportait pour ses amies et sa famille… (des chaussures chics en nombre et des pièges à insectes).
Elle ne savait pas bien répondre à mes interrogations nombreuses sur la nature de l’âme cubaine : quels rêves emporte-ton, quels rêves laisse-t-on, lorsqu’on décide de quitter définitivement la précieuse île du Caïman Vert, le paradis socialiste de Fidel.
«La voiture sans vitres a démarré vite, sans clé de contact, elle a roulé dans des vrombissements de tigre de ses milles cylindrées imaginaires pour beaucoup. Ça sentait la nuit mystérieuse, le cuir, l’essence, la campagne sombre et invisible, la moleskine »
Au sortir de la zone climatisée de la douane, je prenais conscience de marcher enfin au cœur de mon rêve. C’était février, et je respirais soudainement un air lourdement humide. Une moiteur surprenante à minuit. Un parfum capiteux qui m’évoquait la banane mûre, la vanille et le rhum, ou plutôt une senteur inhabituelle. Je me retrouvais seule en pleine nuit, debout dans ce hall, seule, au milieu de Cubains parés de milles couleurs. Et soudain les amis, connu et nouveaux confondus, sont arrivés, les seconds me détaillant sans vergogne tout à leur curiosité. Et dehors, derrière eux qui roulaient déjà ma valise.
La voiture cubaine, jaune canari dans la nuit, rutilante et rafistolée, fier mélange de styles, fière tout simplement. La voiture sans vitres a démarré vite, sans clé de contact, elle a roulé dans des vrombissements de tigre de ses milles cylindrées imaginaires pour beaucoup. Ça sentait la nuit mystérieuse, le cuir, l’essence, la campagne sombre et invisible, la moleskine. Le vent frais de la nuit nous fouettait le visage à présent sur la route vers la ville… A l’arrivée un lourd sommier, un drap à fleur, un lit. Quelques autres habitants de la maisonnée veillaient pour m’attendre, aussitôt rendormis, comprenant que la conversation avec moi serait limitée par la barrière linguistique… Puis l’aube très vite, m’a surprise de son tintamarre, entre chants de gallinacés et bruits de tuyauteries, entre sifflement des gazinières et eau qui glisse dans un long suintement et s’arrête dans un couinement sec, des robinets qui grincent dans un sens puis grincent dans l’autre, des bassines de fer-blanc ou de plastiques qui se remplissent de l’eau ce trésor local entre eau rationnée et eau de pluie récoltée sur les toits… La ville allait s’éveiller devant moi comme un chant du monde, un chant qui concernait tous les voisins. Sous mes persiennes, la vitre ouverte, donnait sur la courette intérieure, où le quartier semblait s’être donné rendez-vous pour échanger nouvelles ou le nécessaire du quotidien…
« Le grand-père a repris sa lecture, fascinant. Il lisait « Rebelde », le journal de la Révolution. Ce pays allait me marquer à vie je le savais déjà »
Un café qu’on m’a glissé dans la main, fort en sucre et caféine, m’a précédé vers le reste de mon nouveau monde. J’ai quitté cette cour discrètement me retirant des conversations, puis j’ai filé recueillir sous la véranda indigo, un peu retirée de la foule, le contact de la ville et de ses vivants… C’était mon premier jour et ma première aquarelle. J’ai senti le bleu vif des murs poudreux en mon abri de chaux, je me suis glissée dans un silence, dans un sourire, contre le grand-père. Je me suis adossée au mur doucement à ses pieds, contre lui qui était en rockingchair, comme lui j’ai observé le grouillement de la ville éveillée, juste devant nous. Les moteurs grondaient, soulevaient une poussière blanche qui recouvrait progressivement tout… Un soleil qui changeait de tonalité baignant tout de rose… Un oncle a commencé une queue devant une boutique proche. Les habitants guettaient les ouvertures de commerces et les démarrages de bus, les camellos sortes de chameaux à milles roues dans lequel tous s’entassent tant bien que mal… Le grand-père a partagé sa mangue juteuse et parfumée avec moi et ce fut un temps calme, un moment suspendu, magique, coloré, une connivence intense. Un voisin s’est avancé vers le grand-père qui lui a vendu une cigarette à l’unité décochant une flèche d’humour qui a illuminé le voisin, puis un autre Cubain est passé et le manège a continué. Le grand-père a repris sa lecture, fascinant. Il lisait « Rebelde », le journal de la Révolution. Ce pays allait me marquer à vie je le savais déjà.
A deux blocs, il faudra courir d’une marche absente à l’autre, dans une tour de pierre sans lumière qui aboutit sur une terrasse éblouissante de soleil, où, entre bébés et chiots à peine nés, la tribu des oncles à panama blanc surplombent la ville, leurs instruments de musique à la main… Une plateforme improbable au-dessus de la pol- lution des carburants locaux, un lieu suspendu dans le ciel et le vent, qui m’a donné le vertige sur la beauté de la ville étendue… C’était mon premier jour.
De jour en jour, j’allais apprendre ce que je savais déjà… que la ville s’explore à pied. Qu’il faut marcher vite d’un pas dansant et affronter les psitt-psitt joyeux, ces salutations diverses dont on affuble les femmes. Que la ville ressemble à une succession étrange de vieux palais fanés, vieillis, figés dans le temps, que ces façades évoquent des pages jaunies de contes sans âges, souvenir du prestige colonial, décor sans signification pour une population pauvre… Je savais aussi que les voitures de Black et Mortimer (Buick, Chevrolet, Cadillac,…) se retrouveraient étrangement bloqués à tous coins de rues, roulants ou en attente, en cours de rafistolage ou d’entretien, jaune citron, rose bonbon, bleu ciel, sorties tout droits de dessin animées ou de tubes de peinture…
J’apprendrai aussi à attraper n’importe quelle rare voiture au vol, négocier un trajet avec le conducteur s’improvisant taxi pour les nécessités économiques du pays où les échanges de services se font et se défont.
«Des enfants en uniformes rouges, leurs manuels calés sous le bras, sortent de l’école et achètent un peu de bonheur : un oiseau que l’on relâche. Les hommes bichonnent leurs voitures, lissent leurs moustaches, fument le cigare, les vieux sont rois en leurs rues pleines de gamins »
Chaque jour en ses murs aura été accompagné de surprises. Un vieux projectionniste nous in – vite dans son cinéma aux films de celluloïd, pré – cieux passeur de traditions ; je pense à « Cinéma paradisio », l’écoute sans bien le comprendre et le dessine mentalement… A un coin de rue, je goute enfin le guarapo, le jus de canne à sucre, et j’observe les longues tiges fraiches broyées dans un mécanisme géant qu’actionnent des Cu – bains qui font la démonstration de leurs muscles… Plus loin, des manucures installent leurs clientes dans la rue sur des guéridons de bois rétros sortis d’improbables bureaux, les coiffent de bigoudis immenses, peignent leurs doigts de couleurs criantes et nacrées et les pomponnent aux yeux de tous sans gêne ni vergogne. Des joueurs de dominos vivent des parties acharnées devant leurs maisons. Des enfants en uniformes rouges, leurs manuels calés sous le bras, sortent de l’école et achètent un peu de bonheur : un oiseau que l’on relâche.
Les hommes bichonnent leurs voitures, lissent leurs moustaches, fument le cigare, les vieux sont rois en leurs rues pleines de gamins. Au centre Rosario Del Castro, nous suivons nos amis musiciens qui répètent leur concert du soir, abandonnant les boulangeries de plein air où ils exercent leur métier plus ordinaire… Nous sommes conviés à passer dans les ateliers de couture, dans des arrière-boutiques, dans des centres de danses, dans des apparte – ments communautaires ou chambres bondés et sans porte. J’ai été malade d’avoir oublié les règles de sé – curité sur l’eau. Quelques jours flottants à re – garder faiblement le plafond, où mon hôtesse s’est inquiétée, me faisant boire dans ma fièvre une étrange potion. Elle m’annonçait mieux : je portais un enfant, une fille. Omaïda respirait la bienveillance, je l’ai laissé faire, j’ai bu sa potion. Cet enfant démarrait sa vie dans ce climat de bienveillance. Omaïda, imposante materfamilias très noire de peau portait au cou les bijoux de son saint protecteur et ses clés de maison à la taille… Elle était prêtresse de la Santeria, la religion cubaine proche du vaudou.
Dans la maison où nous logions, il y avait une pièce bien rangée, balayée chaque jour, avec une table pleine de vases et de verres à moitié remplis d’eau que je ne devais surtout pas toucher : ils sont réservés aux orishas, une vingtaine de saints divinisés, Ochun, Orula, Chango et Yemaya. Elle avait mimé pour moi plusieurs danses consacrées en m’expliquant la signification des costumes de chacun, leurs liens, ainsi que de chaque accessoire religieux.. Tout son corps s’était mis alors à trembler et à tressauter comme un prélude à une transe… Je savais que des ré- unions avaient lieu régulièrement ici mais je n’ai pas eu l’occasion d’y assister. Chacun de nous est lié à un de ses saints. Omaïda a vite vu quel est le mien. Son intuition m’avait saisie j’avoue, quand elle me présenta son analyse de mon mode de pensée et de mon fonctionnement propre.
Puis un jour, nous avons partagé une voiture et pris l’autoroute pour l’Ouest Les autoroutes cubaines sont en réalité des pistes où circulent librement voitures, chevaux, petits vélomoteurs, chiens, bref tout ce qui peut avancer. Ainsi que des camions tellement chargés d’habitants jusque sur le toit, des voitures remplies jusque dans les coffres où un passager se glisse parfois. Rien n’empêche animaux humains ou véhicules de traverser ou de couper brutalement la route. Tout d’un coup, la voiture s’est mise à tousser, à fumer, à sentir le gazole cramé… On s’est retrouvé là, au milieu de la route, à regarder décliner le soleil sur les champs de tabac.
Un cavalier s’est arrêté, les dépanneurs sont arrivés, nous avons marché dépassant un cadavre de chien dévoré par les vautours, et nous avons dormi au village que nous voyions au loin. Un village nommé « kilometre 180 », un village bâti directement sur la terre rouge, entre cochons et pintades en liberté. Une femme nous a préparé de la purée de maïs avec le gazole de notre véhicule qu’ils ont siphonné, elle nous a offert son lit son canapé sa maison et elle est allée dormir de l’autre coté de l’autoroute chez sa mère.
Puis nous sommes repartis traversant la vallée de Pinar del Rio. Nous sommes arrivés dans ce pays où les chiens ne semblent plus affamés, où j’ai admiré les fiers paysans en blanc sur leurs montures, humé le tabac qui sèche dans les hangars, apprécié l’étrange repos mental, l’engourdissement que procure cette terre rouge et fumante d’humidité, moelleuse comme au sortir du four de la Terre-Mère… Je revois les derniers jus de fruits goutés dans les plantations, les pieds étendus sur un fauteuil de planteur. Le rythme effréné de la ville avait cessé, la vue des mogottes au cœur des plantations donnait l’idée du paradis que je cherchais, je n’avais même plus la force de peindre.
Rendre hommage à mes amis cubains pour moi qui suis née entre deux pages de livres, c’est déjà trouver les mots d’accompagnement pour les pages peintes de mon carnet. Avec Cuba, j’avais retrouvé le goût des couleurs, mais aussi d’une vie que les peintures n’avaient pas restituée entièrement. Alors l’envie de caresser sur papier ces mots d’émotion qui coulent par surprise les jours où la sensation de l’éloigné cruel se fait fulgurante… Le pays redevenu si lointain, redevenu mythique… J’ai peint là-bas jusqu’à plus soif, par peur de l’oubli, pour communiquer aussi. puis les mots d’amour pour ces semaines folles, ces mots de souvenir m’ont rattrapé et là enfin Mango Jeunesse m’a permis ce roman illustré, ce recueil, l’histoire d’une « Zoé Pilou à Cuba ».
Quatorze ans après, les piles de livres sont revenus chez moi et avec, la vision forte de l’île qui attend mon retour, de mes amis cubains munis de leurs instruments qui chantaient pour moi à l’aéroport. Je revois mes larmes, les leurs. Cuba, je t’ai dansé comme j’ai pu, avec eux, en soirée, dans les rues, j’ai essayé de te danser même le long d’un autoroute en rase campagne, près du village « autopista 180 », pour oublier que le dépanneur ne viendrait peut- être pas avant l’aube. J’ai dansé je t’ai aimé, je ne t’ai jamais oublié.