Un cœur qui bat très fort. Un chamboulement des sens, un trouble extrême, un burn-out émotionnel : le phénomène a un nom, Tako Tsubo (« piège à poulpe », en japonais), syndrome qui se manifeste par une déformation du cœur due à une intense émotion, négative ou positive. Et qui à ce jour n’a encore trouvé aucun remède.
Tako Tsubo est un album de rupture. De ses tournées mondiales après la sortie de son premier album Matahari, L’Impératrice a certes gardé le goût de la danse, du groove posé sur une basse virtuose, des synthés vintages et des mélodies pailletées. Mais confrontée à d’autres regards elle s’est offert la liberté d’explorer d’autres territoires, de faire un pas de côté.
À l’élégance de la production vient s’ajouter une vibration solaire, venue de Californie, un souffle chaud comme les couleurs d’un crépuscule sur le Pacifique, souligné par le mix de Neal Pogue, sculpteur des sons de Outkast, Stevie Wonder ou Tyler the Creator.
S’éloignant des cadres de la chanson française, de ses refrains et de ses couplets, elle compose des titres qui se jouent des structures, osant une cassure, un rythme syncopé, à l’image de ce cœur qui, sur le beau Anomalie bleue, saute une pulsation sur deux sous le coup d’un transport amoureux.
Si Tako Tsubo marque une rupture, c’est aussi parce que le deuxième album de L’Impératrice interroge le monde dans lequel on vit, les vents contraires qui l’animent, ces normes qui n’ont fait que se flouter : celles qu’imposent les réseaux sociaux ou le succès (Tombée pour la scène) ; celles qu’il faudrait observer pour écrire une chanson (L’équilibriste) ou danser ( Voodoo? ).
Tako Tsubo questionne aussi cette idée qui nous imposerait d’être sans cesse heureux, parfaits, ou tout du moins de l’afficher : le superbe Submarine, intégralement réalisé par le groupe en plein confinement, sonne comme une main tendue, une célébration de la fragilité, à la croisée des chemins de Billie Eilish et de Paul McCartney.
Plus ancrée sur terre, L’Impératrice n’a pas pour autant perdu le sens de la légèreté, et réinterprète l’ancestrale Peur des filles façon thriller féministe, avec justesse et un sourire en coin.
Amour ambivalent, doutes, euphorie, chagrins et folie : autant de symptômes qui, réunis, désignent le syndrome de Tako Tsubo. Autant de courants changeants dont nous sommes les jouets, comme ce destin dont les trois Moires, divinités grecques réinventées sur la pochette par le dessinateur Ugo Bienvenu, tissent le fil. Qui laissent le cœur accidenté, submergé, (re)gonflé. Plus vivant que jamais.